Acte I, Scènes 1 et 2
PERSONNAGES
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ARGANTE père d'Octave et de Zerbinette.
GERONTE père de Léandre et de Hyacinte.
OCTAVE fils d'Argante et amant de Hyacinte.
LEANDRE fils de Géronte et amant de Zerbinette.
ZERBINETTE une Egyptienne et reconnue fille d'Argante et amante de
Léandre.
HYACINTE fille de Géronte et amante d'Octave.
SCAPIN valet de Léandre et fourbe.
SYLVESTRE valet d'Octave.
NERINE nourrice de Hyacinte.
CARLE fourbe.
LA SCENE EST A NAPLES.
ACTE PREMIER
------------
SCENE PREMIERE - OCTAVE, SYLVESTRE.
OCTAVE
Ah ! fâcheuses nouvelles pour un coeur amoureux ! Dures extrémités où
je me vois réduit ! Tu viens, Sylvestre, d'apprendre au port que mon
père revient ?
SYLVESTRE
Oui.
OCTAVE
Qu'il arrive ce matin même ?
SYLVESTRE
Ce matin même.
OCTAVE
Et qu'il revient dans la résolution de me marier ?
SYLVESTRE
Oui.
OCTAVE
Avec une fille du seigneur Géronte ?
SYLVESTRE
Du seigneur Géronte.
OCTAVE
Et que cette fille est mandée de Tarente ici pour cela ?
SYLVESTRE
Oui.
OCTAVE
Et tu tiens ces nouvelles de mon oncle ?
SYLVESTRE
De votre oncle.
OCTAVE
A qui mon père les a mandées par une lettre ?
SYLVESTRE
Par une lettre.
OCTAVE
Et cet oncle, dis-tu, sait toutes nos affaires ?
SYLVESTRE
Toutes nos affaires.
OCTAVE
Ah ! parle, si tu veux, et ne te fais point de la sorte arracher les
mots de la bouche.
SYLVESTRE
Qu'ai-je à parler davantage ? Vous n'oubliez aucune circonstance, et
vous dites les choses tout justement comme elles sont.
OCTAVE
Conseille-moi, du moins, et me dis ce que je dois faire dans ces
cruelles conjonctures.
SYLVESTRE
Ma foi, je m'y trouve autant embarrassé que vous, et j'aurais bon
besoin que l'on me conseillât moi-même.
OCTAVE
Je suis assassiné par ce maudit retour.
SYLVESTRE
Je ne le suis pas moins.
OCTAVE
Lorsque mon père apprendra les choses, je vais voir fondre sur moi un
orage soudain d'impétueuses réprimandes.
SYLVESTRE
Les réprimandes ne sont rien, et plût au Ciel que j'en fusse quitte à
ce prix ! Mais, j'ai bien la mine, pour moi, de payer plus cher vos
folies, et je vois se former de loin un nuage de coups de bâton qui
crèvera sur mes épaules.
OCTAVE
O Ciel ! par où sortir de l'embarras où je me trouve ?
SYLVESTRE
C'est à quoi vous deviez songer avant que de vous y jeter.
OCTAVE
Ah ! tu me fais mourir par tes leçons hors de saison.
SYLVESTRE
Vous me faites bien plus mourir par vos actions étourdies.
OCTAVE
Que dois-je faire ? Quelle résolution prendre ? A quel remède recourir ?
SCENE II - SCAPIN, OCTAVE, SYLVESTRE.
SCAPIN
Qu'est-ce, seigneur Octave ? qu'avez-vous ? qu'y a-t-il ? quel désordre
est-ce là ? Je vous vois tout troublé.
OCTAVE
Ah ! mon pauvre Scapin, je suis perdu, je suis désespéré, je suis le
plus infortuné de tous les hommes !
SCAPIN
Comment ?
OCTAVE
N'as-tu rien appris de ce qui me regarde ?
SCAPIN
Non.
OCTAVE
Mon père arrive avec le seigneur Géronte, et ils me veulent marier.
SCAPIN
Eh bien ! qu'y a-t-il là de si funeste ?
OCTAVE
Hélas ! tu ne sais pas la cause de mon inquiétude.
SCAPIN
Non ; mais il ne tiendra qu'à vous que je la sache bientôt ; et je suis
homme consolatif, homme à m'intéresser aux affaires des jeunes gens.
OCTAVE
Ah ! Scapin, si tu pouvais trouver quelque invention, forger quelque
machine, pour me tirer de la peine où je suis, je croirais t'être
redevable de plus que de la vie.
SCAPIN
A vous dire la vérité, il y a peu de choses qui me soient impossibles,
quand je m'en veux mêler. J'ai sans doute reçu du Ciel un génie assez
beau pour toutes les fabriques de ces gentillesses d'esprit, de ces
galanteries ingénieuses, à qui le vulgaire ignorant donne le nom de
fourberies ; et je puis dire sans vanité qu'on n'a guère vu d'homme qui
fût plus habile ouvrier de ressorts et d'intrigues, qui ait acquis plus
de gloire que moi dans ce noble métier. Mais, ma foi, le mérite est
trop maltraité aujourd'hui, et j'ai renoncé à toutes choses depuis
certain chagrin d'une affaire qui m'arriva.
OCTAVE
Comment ? Quelle affaire, Scapin ?
SCAPIN
Une aventure où je me brouillai avec la justice.
OCTAVE
La justice !
SCAPIN
Oui, nous eûmes un petit démêlé ensemble.
SYLVESTRE
Toi et la justice ?
SCAPIN
Oui. Elle en usa fort mal avec moi, et je me dépitai de telle sorte
contre l'ingratitude du siècle, que je résolus de ne plus rien faire.
Baste ! Ne laissez pas de me conter votre aventure.
OCTAVE
Tu sais, Scapin, qu'il y a deux mois que le seigneur Géronte et mon
père s'embarquèrent ensemble pour un voyage qui regarde certain
commerce où leurs intérêts sont mêlés.
SCAPIN
Je sais cela.
OCTAVE
Et que Léandre et moi nous fûmes laissés par nos pères, moi sous la
conduite de Sylvestre, et Léandre sous ta direction.
SCAPIN
Oui. Je me suis fort bien acquitté de ma charge.
OCTAVE
Quelque temps après, Léandre fit rencontre d'une jeune Egyptienne dont
il devint amoureux.
SCAPIN
Je sais cela encore.
OCTAVE
Comme nous sommes grands amis, il me fit aussitôt confidence de son
amour et me mena voir cette fille, que je trouvai belle à la vérité,
mais non pas tant qu'il voulait que je la trouvasse. Il ne
m'entretenait que d'elle chaque jour, m'exagérait à tous moments sa
beauté et sa grâce, me louait son esprit et me parlait avec transport
des charmes de son entretien, dont il me rapportait jusqu'aux moindres
paroles, qu'il s'efforçait toujours de me faire trouver les plus
spirituelles du monde. Il me querellait quelquefois de n'être pas assez
sensible aux choses qu'il me venait de dire, et me blâmait sans cesse
de l'indifférence où j'étais pour les feux de l'amour.
SCAPIN
Je ne vois pas encore où ceci veut aller.
OCTAVE
Un jour que je l'accompagnais pour aller chez des gens qui gardent
l'objet de ses voeux, nous entendîmes dans une petite maison d'une rue
écartée quelques plaintes mêlées de beaucoup de sanglots. Nous
demandons ce que c'est. Une femme nous dit en soupirant que nous
pouvions voir là quelque chose de pitoyable en des personnes
étrangères, et qu'à moins d'être insensibles, nous en serions touchés.
SCAPIN
Où est-ce que cela nous mène ?
OCTAVE
La curiosité me fit presser Léandre de voir ce que c'était. Nous
entrons dans une salle, où nous voyons une vieille femme mourante,
assistée d'une servante qui faisait des regrets, et d'une jeune fille
toute fondante en larmes, la plus belle et la plus touchante qu'on
puisse jamais voir.
SCAPIN
Ah ! ah !
OCTAVE
Une autre aurait paru effroyable en l'état où elle était, car elle
n'avait pour habillement qu'une méchante petite jupe, avec des
brassières de nuit qui étaient de simple futaine, et sa coiffure était
une cornette jaune, retroussée au haut de sa tête, qui laissait tomber
en désordre ses cheveux sur ses épaules ; et cependant, faite comme
cela, elle brillait de mille attraits, et ce n'était qu'agréments et
que charmes que toute sa personne.
SCAPIN
Je sens venir les choses.
OCTAVE
Si tu l'avais vue, Scapin, en l'état que je dis, tu l'aurais trouvée
admirable.
SCAPIN
Oh ! je n'en doute point ; et, sans l'avoir vue, je vois bien qu'elle
était tout à fait charmante.
OCTAVE
Ses larmes n'étaient point de ces larmes désagréables qui défigurent un
visage : elle avait, à pleurer, une grâce touchante, et sa douleur
était la plus belle du monde.
SCAPIN
Je vois tout cela.
OCTAVE
Elle faisait fondre chacun en larmes en se jetant amoureusement sur le
corps de cette mourante, qu'elle appelait sa chère mère, et il n'y
avait personne qui n'eût l'âme percée de voir un si bon naturel.
SCAPIN
En effet, cela est touchant, et je vois bien que ce bon naturel-là vous
la fit aimer.
OCTAVE
Ah ! Scapin, un barbare l'aurait aimée.
SCAPIN
Assurément. Le moyen de s'en empêcher !
OCTAVE
Après quelques paroles dont je tâchai d'adoucir la douleur de cette
charmante affligée, nous sortîmes de là et, demandant à Léandre ce qui
lui semblait de cette personne, il me répondit froidement qu'il la
trouvait assez jolie. Je fus piqué de la froideur avec laquelle il m'en
parlait, et je ne voulus point lui découvrir l'effet que ses beautés
avaient fait sur mon âme.
SYLVESTRE, à Octave.
Si vous n'abrégez ce récit, nous en voilà pour jusqu'à demain.
Laissez-le-moi finir en deux mots. (A Scapin.) Son coeur prend feu dès
ce moment. Il ne saurait plus vivre qu'il n'aille consoler son aimable
affligée. Ses fréquentes visites sont rejetées de la servante, devenue
la gouvernante par le trépas de la mère : voilà mon homme au désespoir.
Il presse, supplie conjure : point d'affaire. On lui dit que la fille,
quoique sans bien et sans appui, est de famille honnête et qu'à moins
que de l'épouser, on ne peut souffrir ses poursuites ; voilà son amour
augmenté par les difficultés. Il consulte dans sa tête, agite,
raisonne, balance, prend sa résolution : le voilà marié à elle depuis
trois jours.
SCAPIN
J'entends.
SYLVESTRE
Maintenant, mets avec cela le retour imprévu du père, qu'on n'attendait
que dans deux mois ; la découverte que l'oncle a faite du secret de
notre mariage, et l'autre mariage qu'on veut faire de lui avec la fille
que le seigneur Géronte a eue d'une seconde femme qu'on dit qu'il a
épousée à Tarente.
OCTAVE
Et par-dessus tout cela, mets encore l'indigence où se trouve cette
aimable personne et l'impuissance où je me vois d'avoir de quoi la
secourir.
SCAPIN
Est-ce là tout ? Vous voilà bien embarrassés tous deux pour une
bagatelle ! C'est bien là de quoi se tant alarmer ! N'as-tu point de
honte, toi, de demeurer court à si peu de chose ? Que diable ! te voilà
grand et gros comme père et mère, et tu ne saurais trouver dans ta
tête, forger dans ton esprit, quelque ruse galante, quelque honnête
petit stratagème, pour ajuster vos affaires ? Fi ! Peste soit du butor
! Je voudrais bien que l'on m'eût donné autrefois nos vieillards à
duper : je les aurais joués tous deux par-dessous la jambe, et je
n'étais pas plus grand que cela que je me signalais déjà par cent tours
d'adresse jolis.
SYLVESTRE
J'avoue que le Ciel ne m'a pas donné tes talents, et que je n'ai pas
l'esprit, comme toi, de me brouiller avec la justice.
OCTAVE
Voici mon aimable Hyacinte.
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ARGANTE père d'Octave et de Zerbinette.
GERONTE père de Léandre et de Hyacinte.
OCTAVE fils d'Argante et amant de Hyacinte.
LEANDRE fils de Géronte et amant de Zerbinette.
ZERBINETTE une Egyptienne et reconnue fille d'Argante et amante de
Léandre.
HYACINTE fille de Géronte et amante d'Octave.
SCAPIN valet de Léandre et fourbe.
SYLVESTRE valet d'Octave.
NERINE nourrice de Hyacinte.
CARLE fourbe.
LA SCENE EST A NAPLES.
ACTE PREMIER
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SCENE PREMIERE - OCTAVE, SYLVESTRE.
OCTAVE
Ah ! fâcheuses nouvelles pour un coeur amoureux ! Dures extrémités où
je me vois réduit ! Tu viens, Sylvestre, d'apprendre au port que mon
père revient ?
SYLVESTRE
Oui.
OCTAVE
Qu'il arrive ce matin même ?
SYLVESTRE
Ce matin même.
OCTAVE
Et qu'il revient dans la résolution de me marier ?
SYLVESTRE
Oui.
OCTAVE
Avec une fille du seigneur Géronte ?
SYLVESTRE
Du seigneur Géronte.
OCTAVE
Et que cette fille est mandée de Tarente ici pour cela ?
SYLVESTRE
Oui.
OCTAVE
Et tu tiens ces nouvelles de mon oncle ?
SYLVESTRE
De votre oncle.
OCTAVE
A qui mon père les a mandées par une lettre ?
SYLVESTRE
Par une lettre.
OCTAVE
Et cet oncle, dis-tu, sait toutes nos affaires ?
SYLVESTRE
Toutes nos affaires.
OCTAVE
Ah ! parle, si tu veux, et ne te fais point de la sorte arracher les
mots de la bouche.
SYLVESTRE
Qu'ai-je à parler davantage ? Vous n'oubliez aucune circonstance, et
vous dites les choses tout justement comme elles sont.
OCTAVE
Conseille-moi, du moins, et me dis ce que je dois faire dans ces
cruelles conjonctures.
SYLVESTRE
Ma foi, je m'y trouve autant embarrassé que vous, et j'aurais bon
besoin que l'on me conseillât moi-même.
OCTAVE
Je suis assassiné par ce maudit retour.
SYLVESTRE
Je ne le suis pas moins.
OCTAVE
Lorsque mon père apprendra les choses, je vais voir fondre sur moi un
orage soudain d'impétueuses réprimandes.
SYLVESTRE
Les réprimandes ne sont rien, et plût au Ciel que j'en fusse quitte à
ce prix ! Mais, j'ai bien la mine, pour moi, de payer plus cher vos
folies, et je vois se former de loin un nuage de coups de bâton qui
crèvera sur mes épaules.
OCTAVE
O Ciel ! par où sortir de l'embarras où je me trouve ?
SYLVESTRE
C'est à quoi vous deviez songer avant que de vous y jeter.
OCTAVE
Ah ! tu me fais mourir par tes leçons hors de saison.
SYLVESTRE
Vous me faites bien plus mourir par vos actions étourdies.
OCTAVE
Que dois-je faire ? Quelle résolution prendre ? A quel remède recourir ?
SCENE II - SCAPIN, OCTAVE, SYLVESTRE.
SCAPIN
Qu'est-ce, seigneur Octave ? qu'avez-vous ? qu'y a-t-il ? quel désordre
est-ce là ? Je vous vois tout troublé.
OCTAVE
Ah ! mon pauvre Scapin, je suis perdu, je suis désespéré, je suis le
plus infortuné de tous les hommes !
SCAPIN
Comment ?
OCTAVE
N'as-tu rien appris de ce qui me regarde ?
SCAPIN
Non.
OCTAVE
Mon père arrive avec le seigneur Géronte, et ils me veulent marier.
SCAPIN
Eh bien ! qu'y a-t-il là de si funeste ?
OCTAVE
Hélas ! tu ne sais pas la cause de mon inquiétude.
SCAPIN
Non ; mais il ne tiendra qu'à vous que je la sache bientôt ; et je suis
homme consolatif, homme à m'intéresser aux affaires des jeunes gens.
OCTAVE
Ah ! Scapin, si tu pouvais trouver quelque invention, forger quelque
machine, pour me tirer de la peine où je suis, je croirais t'être
redevable de plus que de la vie.
SCAPIN
A vous dire la vérité, il y a peu de choses qui me soient impossibles,
quand je m'en veux mêler. J'ai sans doute reçu du Ciel un génie assez
beau pour toutes les fabriques de ces gentillesses d'esprit, de ces
galanteries ingénieuses, à qui le vulgaire ignorant donne le nom de
fourberies ; et je puis dire sans vanité qu'on n'a guère vu d'homme qui
fût plus habile ouvrier de ressorts et d'intrigues, qui ait acquis plus
de gloire que moi dans ce noble métier. Mais, ma foi, le mérite est
trop maltraité aujourd'hui, et j'ai renoncé à toutes choses depuis
certain chagrin d'une affaire qui m'arriva.
OCTAVE
Comment ? Quelle affaire, Scapin ?
SCAPIN
Une aventure où je me brouillai avec la justice.
OCTAVE
La justice !
SCAPIN
Oui, nous eûmes un petit démêlé ensemble.
SYLVESTRE
Toi et la justice ?
SCAPIN
Oui. Elle en usa fort mal avec moi, et je me dépitai de telle sorte
contre l'ingratitude du siècle, que je résolus de ne plus rien faire.
Baste ! Ne laissez pas de me conter votre aventure.
OCTAVE
Tu sais, Scapin, qu'il y a deux mois que le seigneur Géronte et mon
père s'embarquèrent ensemble pour un voyage qui regarde certain
commerce où leurs intérêts sont mêlés.
SCAPIN
Je sais cela.
OCTAVE
Et que Léandre et moi nous fûmes laissés par nos pères, moi sous la
conduite de Sylvestre, et Léandre sous ta direction.
SCAPIN
Oui. Je me suis fort bien acquitté de ma charge.
OCTAVE
Quelque temps après, Léandre fit rencontre d'une jeune Egyptienne dont
il devint amoureux.
SCAPIN
Je sais cela encore.
OCTAVE
Comme nous sommes grands amis, il me fit aussitôt confidence de son
amour et me mena voir cette fille, que je trouvai belle à la vérité,
mais non pas tant qu'il voulait que je la trouvasse. Il ne
m'entretenait que d'elle chaque jour, m'exagérait à tous moments sa
beauté et sa grâce, me louait son esprit et me parlait avec transport
des charmes de son entretien, dont il me rapportait jusqu'aux moindres
paroles, qu'il s'efforçait toujours de me faire trouver les plus
spirituelles du monde. Il me querellait quelquefois de n'être pas assez
sensible aux choses qu'il me venait de dire, et me blâmait sans cesse
de l'indifférence où j'étais pour les feux de l'amour.
SCAPIN
Je ne vois pas encore où ceci veut aller.
OCTAVE
Un jour que je l'accompagnais pour aller chez des gens qui gardent
l'objet de ses voeux, nous entendîmes dans une petite maison d'une rue
écartée quelques plaintes mêlées de beaucoup de sanglots. Nous
demandons ce que c'est. Une femme nous dit en soupirant que nous
pouvions voir là quelque chose de pitoyable en des personnes
étrangères, et qu'à moins d'être insensibles, nous en serions touchés.
SCAPIN
Où est-ce que cela nous mène ?
OCTAVE
La curiosité me fit presser Léandre de voir ce que c'était. Nous
entrons dans une salle, où nous voyons une vieille femme mourante,
assistée d'une servante qui faisait des regrets, et d'une jeune fille
toute fondante en larmes, la plus belle et la plus touchante qu'on
puisse jamais voir.
SCAPIN
Ah ! ah !
OCTAVE
Une autre aurait paru effroyable en l'état où elle était, car elle
n'avait pour habillement qu'une méchante petite jupe, avec des
brassières de nuit qui étaient de simple futaine, et sa coiffure était
une cornette jaune, retroussée au haut de sa tête, qui laissait tomber
en désordre ses cheveux sur ses épaules ; et cependant, faite comme
cela, elle brillait de mille attraits, et ce n'était qu'agréments et
que charmes que toute sa personne.
SCAPIN
Je sens venir les choses.
OCTAVE
Si tu l'avais vue, Scapin, en l'état que je dis, tu l'aurais trouvée
admirable.
SCAPIN
Oh ! je n'en doute point ; et, sans l'avoir vue, je vois bien qu'elle
était tout à fait charmante.
OCTAVE
Ses larmes n'étaient point de ces larmes désagréables qui défigurent un
visage : elle avait, à pleurer, une grâce touchante, et sa douleur
était la plus belle du monde.
SCAPIN
Je vois tout cela.
OCTAVE
Elle faisait fondre chacun en larmes en se jetant amoureusement sur le
corps de cette mourante, qu'elle appelait sa chère mère, et il n'y
avait personne qui n'eût l'âme percée de voir un si bon naturel.
SCAPIN
En effet, cela est touchant, et je vois bien que ce bon naturel-là vous
la fit aimer.
OCTAVE
Ah ! Scapin, un barbare l'aurait aimée.
SCAPIN
Assurément. Le moyen de s'en empêcher !
OCTAVE
Après quelques paroles dont je tâchai d'adoucir la douleur de cette
charmante affligée, nous sortîmes de là et, demandant à Léandre ce qui
lui semblait de cette personne, il me répondit froidement qu'il la
trouvait assez jolie. Je fus piqué de la froideur avec laquelle il m'en
parlait, et je ne voulus point lui découvrir l'effet que ses beautés
avaient fait sur mon âme.
SYLVESTRE, à Octave.
Si vous n'abrégez ce récit, nous en voilà pour jusqu'à demain.
Laissez-le-moi finir en deux mots. (A Scapin.) Son coeur prend feu dès
ce moment. Il ne saurait plus vivre qu'il n'aille consoler son aimable
affligée. Ses fréquentes visites sont rejetées de la servante, devenue
la gouvernante par le trépas de la mère : voilà mon homme au désespoir.
Il presse, supplie conjure : point d'affaire. On lui dit que la fille,
quoique sans bien et sans appui, est de famille honnête et qu'à moins
que de l'épouser, on ne peut souffrir ses poursuites ; voilà son amour
augmenté par les difficultés. Il consulte dans sa tête, agite,
raisonne, balance, prend sa résolution : le voilà marié à elle depuis
trois jours.
SCAPIN
J'entends.
SYLVESTRE
Maintenant, mets avec cela le retour imprévu du père, qu'on n'attendait
que dans deux mois ; la découverte que l'oncle a faite du secret de
notre mariage, et l'autre mariage qu'on veut faire de lui avec la fille
que le seigneur Géronte a eue d'une seconde femme qu'on dit qu'il a
épousée à Tarente.
OCTAVE
Et par-dessus tout cela, mets encore l'indigence où se trouve cette
aimable personne et l'impuissance où je me vois d'avoir de quoi la
secourir.
SCAPIN
Est-ce là tout ? Vous voilà bien embarrassés tous deux pour une
bagatelle ! C'est bien là de quoi se tant alarmer ! N'as-tu point de
honte, toi, de demeurer court à si peu de chose ? Que diable ! te voilà
grand et gros comme père et mère, et tu ne saurais trouver dans ta
tête, forger dans ton esprit, quelque ruse galante, quelque honnête
petit stratagème, pour ajuster vos affaires ? Fi ! Peste soit du butor
! Je voudrais bien que l'on m'eût donné autrefois nos vieillards à
duper : je les aurais joués tous deux par-dessous la jambe, et je
n'étais pas plus grand que cela que je me signalais déjà par cent tours
d'adresse jolis.
SYLVESTRE
J'avoue que le Ciel ne m'a pas donné tes talents, et que je n'ai pas
l'esprit, comme toi, de me brouiller avec la justice.
OCTAVE
Voici mon aimable Hyacinte.